L’état civil, l’avait prétendument enregistré en Jean-François Coste. L’état civil était bien le seul à user de son nom. La flotte l’avait baptisé Costo.

Costo offrait des livres à ses collègues concurrents. Et puis il se muait en Corto pour profiter longtemps, très longtemps, de sa bibliothèque embarquée.

Costo s’était intronisé bibliothécaire des bords interminables. Il est parti une fois, lors du Vendée Globe inaugural en 1989, car tourner autour du monde cette première fois c’était comme ouvrir un livre sans avoir lu la quatrième de couv, un point d’interrogation entre le zéro et l’infini. Il L’avait bouclé en serre-file, en 163 jours 1h 19’20 », une errance volontaire qui ressembla effectivement à un album de Corto Maltese, avec de la poésie, de la philo, du danger, de la tendresse, de l’inattendu

Les fois d’après, Costo, discrètement, se mêlait à la foule des badauds, et tendait aux partants un livre choisi en fonction de ce qu’il croyait deviner de chacun.

Un mardi, ou un autre jour, mais c’était cet hiver, la belle maison Arthaud, qui s’y connaît en embruns et en âme profondes, recevait aux Editeurs, à l’étage tout en velours rouges, celui des cocktails. On y trinquait aux lignes inspirées par Yvan Bourgnon, sorte de Sinbad contemporain, de retour d’un tour du monde minimaliste sur une coque à la noix, mais sévèrement burné.

Un cocktail par définition est un mélange. C’est fou comme la taille des torses bombés est inversement proportionnelle au talent, comme celui qui a tout vécu se tait, comme celui qui n’a rien vu pérore en lettres majuscules. Les canapés étaient fins, le siège des meilleurs orateurs valait la station debout..

Minuscule dans son petit coin un homme debout à cheveux blancs, tassé, discret, nonagénaire, semblait faire le nombre.

Valérie, l’hôte, l’introduisait dans les demi-cercles.

-Je vous présente Gilles Lapouge.

Bel homme de lettres: La Bataille de Wagram, La Mission Des Frontières, L’Encre Du Voyageur…

Le monsieur avait pris racines au Brésil, mais la vie parfois rappelle à Paris.

Costo était ailleurs, quelque part, pas invité sûrement ; Yvan Bourgnon calligraphiait des dédicaces sur pages blanches.

Gilles Lapouge, parce qu’il lui fut demandé, conta à un ou deux, sa contrée d’adoption, puis, comment ses lignes quotidiennes lui venaient. Ou pas.

Il n’était pas tard, mais on l’attendait. Il repris son manteau, salua délicatement, et en guise d’au-revoir, comme un cadeau, conseilla un ouvrage à paraître, dont il avait déjà lu avidement les épreuves.

-Ca s’appelle Le Grand Marin, c’est d’une inconnue Catherine Poulain, c’est son premier roman, c’est formidable. Bonne soirée.

Malheureux homme: il l’avait déjà lu.     cp2

Il fallu attendre, pervers délice, la parution, puis le temps disponible, pour entamer 386 pages de promesses, à l’ombre de l’Olivier, des éditions qui tiennent souvent couverture à de belles envolées.

« Il faudrait toujours être en route pour l’Alaska. Mais y arriver à quoi bon. J’ai fait mon sac. C’est la nuit. Un jour je quitte Manosque-les-Plateaux, Manosque-les-Couteaux, c’est février, les bars ne désemplissent pas, la fumée, la bière, je pars, le bout du monde sur la grande Bleue, vers le cristal et le péril, je pars. Je ne veux plus mourir d’ennui, de bière, d’une balle perdue… »

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La suite ne peut se raconter car c’est interdit de priver du plaisir de la découverte, c’est comme exhiber une photo d’une île alors que l’invité va y aborder d’ici quelques milles. Mais quand même… C’est l’histoire intime d’une femme qui prend le large, là où peut-être il est le plus large, parmi les pêcheurs, aux confins des glaces. Mais quand même…

Page 37 :

« Embarquer c’est comme épouser le baetau le temps que tu vas bosser pour lui. »

Page 163 :

« -Risquer de perdre la vie mais au moins la trouver avant… Et puis je rêve d’aller au bout du monde, trouver sa limite, là où ça s’arrête.

-Et après ?

-Après quand je suis au bout, je saute.

Et après?

-Après je m’envoile.

-Tu t’envoles jamais, tu meurs!

-Je meurs? »

Page 364:

« J’ai pensé au monde nu et nous dedans. Nothing, nobody, nowhere. Mais moi au milieu et vivante encore, toujours vivante. »

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Pas besoin d’être en mer pour s’y sentir. Un transat rayé et un livre peuvent suffire. 368 pages avec au bout un vrai mal de mer, physique, et un bien de terre. Comprendre la mer pour être mieux sur terre. L’héroïne dévore les cœurs des gisants, des poissons arrachés aux eaux, pour se sentir deux fois vivante.

On a pensé à ceux qui officiellement ne pêchent que la victoire et qui forcément sont en quête de plus.

On a pensé à la communication qui bride l’authenticité avec des petits robots marketés ou des relectures à la prudence suisse.

On s’est dit, que vers début novembre, quand s’embarqueront pour l’horizon les gars du Vendée Globe, il serait vital que Costo refasse une distribution. S.L’H.

bourgnon